L’équipe de The Spoon of Paris a été invitée par le chef Alan Geaam dans son restaurant éponyme situé dans le XVIème arrondissement à Paris. Avons-nous aimé ? Nous laissons la parole à Chihiro qui le connait depuis longtemps. Récit candide.
Si vous avez connu le restaurant Akrame, vous reconnaitrez aisément les lieux. Car s’ils ont été revus, la structure reste sensiblement la même. L’ambiance est moderne avec quelques touches élégantes pour rappeler le Liban.
Alan Geaam est le seul chef parmi tous ceux que j’ai pu croiser dans ma vie, que j’ai rencontré à une kermesse d’école primaire. Pour cause, nos enfants y étaient scolarisés… à l’époque, il venait d’ouvrir AG Halles, après avoir fermé son restaurant rive gauche. Propriétaire d’un nombre impressionnant d’établissements, dont l’Auberge de Nicolas Flamel également étoilé, Qasti, Qasti gril, plusieurs traiteurs et une boulangerie, il ne semble jamais dormir. Depuis son arrivée en France à l’âge de 19 ans, sans argent, sans formation, sans parler le français, il s’est hissé au plus haut rang des cuisiniers parisiens nés au Liban.
Mais l’histoire de cet homme remarquable est connu de tous, je ne vais pas vous la relater ici. Ce serait trop long, et puis, vous avez aujourd’hui son livre, Mon Liban (éd. Hachette), qui le raconte beaucoup mieux que je ne pourrais jamais le faire.
Cet ouvrage m’a touchée. Si tous les livres de chef cuisinier racontent leur histoire (je suis bien placée pour le savoir, j’en ai signé une vingtaine en vingt ans), rares sont ceux dont les mots sont empreints d’une telle sincérité. L’on veut toujours mettre en avant ce que l’on pense présente bien et nul n’a envie d’étaler ses hontes et ses peurs, même passées. Mais Alan a mis ses tripes dans ce livre et l’autrice, Leslie Gogoin, a su les transcrire avec une belle simplicité. Chapeau bas, donc.
Mais revenons à ce qui nous intéresse ici…. la table !
Amuse-bouches ou mezzé
J’étais venue ici peu de temps après l’ouverture, avant que le restaurant n’obtienne l’étoile Michelin, et en toute honnêteté, j’avais largement préféré la cuisine chez Qasti, plus bistrotière et carrément libanaise. Alors que la cuisine d’Alan Geaam rue Lauriston respectait les codes de la cuisine gastronomique – dressage complexes, une ribambelle d’amuse-bouches et de mignardises – mais manquait un peu de technique ou de précision. Malgré ces défauts, elle était intéressante car elle commençait à exprimer un certain Liban – dont Alan n’avait effleuré que le bout de l’iceberg chez AG Halles, avec par exemple des petites brioches à tremper dans le zaatar, servies en amuse-bouche.
Puis le temps a passé et je n’y étais pas revenue depuis. Ainsi ce fut avec plaisir et anticipation que j’ai poussé la porte du restaurant. L’accueil fut des plus agréables, par une responsable de restaurant souriante, dynamique et immédiatement rassurante. Voilà une personne qui connait son affaire, se dit-on. Et l’on commence déjà à se sentir bien dans ce lieu…
Pour commencer, une tuile en forme de feuille, au zaatar, à cueillir sur un arbre, suivie de près par des meringues au labneh (lait fermenté concentré) à croquer avec une cuillerée de caviar séché. Une jolie surprise qui surgit d’une boite de graines de kasha torréfiées, que le chef secoue tel un enfant.
“Quand j’étais gamin, j’adorais faire des surprises, à ma famille, à mes sœurs…”
(Si vous me suivez sur Instagram, vous y verrez la vidéo du moment magique).
S’ensuivirent: une feuille d’huître coiffée d’œufs de truite et de raisins de la mer, deux pétillants iodés absolument délicieux sur cette feuille si fraiche aux senteurs de l’océan. Du foie gras praliné cacahuète, en forme de cacahuète, caché dans un petit monticule de cacahuètes “comme au marché à Tripoli” dit le chef. Une émulsion de houmous, citron caviar et meringue végane au lait de pois chiches, légèrement tiède et terriblement réconfortante. Une tartelette de cheveux d’ange avec une langoustine aux agrumes, sur laquelle trônait de l’oursin. Gourmandise sucrée au sucre naturel du crustacé et du coquillage, frais et gourmand tout à la fois.
Entrées ou suite du mezzé
Puis un chou-fleur rôti, et en son cœur un tartare de chou-fleur, grenade, amande, caviar séché râpé, sauce chou-fleur réduite et crème. La légère amertume du chou-fleur arrondie par le velouté de la sauce et de la crème, où l’on sent un kaléidoscope de parfums qui tourbillonnent en bouche. Toute en élégance, la fleur qui est un légume qui est une fleur…
“Comme un mezzé, où il y a plein de choses et où on partage tout” dit le chef en alignant sur la table de jolies déclinaisons sur le thème du chou-fleur avec son petit pot mi-potage mi-crème, et sa tartelette de chou-fleur et caviar.
Ensuite le “black falafel, un plat inspiré de la street-food libanaise”. Le falafel est noirci au charbon et fourré d’un petit morceau d’anguille fumée. Il est servi dans une vierge de pois chiches, crème d’ail et pickles de navet noirci à l’encre de seiche. La mini-pita contient une mousse d’anguille fumée.
Enfin, l’anguille est laquée à la mélasse de grenade agrémentée d’un peu de sauce soja.
Plat de résistance
Et là, tout d’un coup, le Japon. Ou plutôt, son bœuf. Car il n’y avait rien de japonais dans ces morceaux de filet de bœuf posés stratégiquement sur une plaque de sel rose de l’Himalaya sur une flamme pour les saler et aussi, les garder un peu au chaud.
Le wagyu est un produit difficile car très gras. Il ne convient pas aux amateurs de viande bleue car il demande une cuisson rosée, avec une bonne dose de sel pour contrecarrer ce gras. Ici, la cuisson était parfaite, dorée en surface, juteuse à cœur. Et le double salage par la fleur de sel et par la plaque rose, ingénieux et extrêmement efficace. Fini en une bouchée, mais qu’est-ce que c’était bon ! Et le côté dolmen de la construction n’enlève rien aux couleurs pierres chaudes du lieu.
Ce wagyu venu tout droit du Japon, de la préfecture de Gunma, était accompagné d’un superbe consommé de bœuf avec une brunoise de moelle et de céleri. Succulent.
Pour l’accompagner, le paleron du wagyu confit, spirale de céleri aux truffes, béarnaise au zaatar et jus de wagyu réduit. J’étais un tout petit peu moins convaincue par ce plat, qui m’a donné furieusement envie de le goûter avec un bœuf “normal” bien rouge. Car le wagyu, obèse, n’a pas de muscle. Lorsqu’il est bien cuit… Il n’a pas vraiment de goût. Ce plat n’aurait-il pas été splendide avec un bœuf rouge ? Le jus était délicieux, la spirale de céleri et truffes aussi. Et la béarnaise était un rêve que l’on aimerait avoir dans un grand pot chez soi au frigo…
Desserts
Un premier dessert tout en fraicheur. Meringue, herbes, fleur d’oranger, citron vert, pamplemousse et plein d’autres choses toutes fraiches.
Le deuxième, au chocolat, cette fois.
Et des mignardises “en mezzé” – l’abondance ! J’ai adoré la sucette façon mouhallabieh, alors que d’habitude je n’aime pas beaucoup ce dessert libanais un peu flan, un peu lait, un peu floral et très sucré. Alors qu’ici, la sucette était très légère et aérienne, tout en étant totalement régressive par sa forme – est-ce cela qui l’a rendue si adorable ?