171122 chantoiseau 2825
171122 chantoiseau 2825

Chantoiseau, Montmartre, Paris.

– Quand avez-vous ouvert ?

– En janvier 2020, répondit-il avec un grand sourire.

– Oh ! Mais… cela a dû être dur pour vous…

– Oui… mais nous avons pris cela comme une chance, car cela nous a permis de faire connaissance avec le quartier. Nous avons fait épicerie, vendu des légumes, des confitures et les gens sont venus nous découvrir.

– Vous êtes le chef ?

– Oui, c’est moi, Julien, avec mon frère Nicolas, tous les deux. Nous avons nos caractères, et la fermeture forcée nous a aussi donné un peu de temps pour apprendre à travailler ensemble. Et ma compagne, Julia, qui assure le service. C’est une affaire de famille !

(Rappel « premier confinement » : le 14 mars 2020, Édouard Philippe annonce la fermeture des restaurants, bars, discothèques… Le fonds de solidarité mis en place pour les indemniser étant basé sur le chiffre d’affaires de l’année précédente, les établissement ouverts début 2020 n’en ont bénéficié que bien plus tard.)

Chantoiseau
Gougères en amuse-bouche.

Chantoiseau, 1765

Perché sur une des pentes raides de Montmartre, le lieu est petit, intimiste, avec une vue sur la rue Lepic qui fait inconsciemment pencher la tête. Il règne chez Chantoiseau un air du vieux Montmartre, de l’époque où l’on disait encore « je descends à Paris ». Si le quartier populaire évoqué dans les Maigret et les chansons de Piaf a changé de population et d’ambiance, il y a toujours ici un esprit de village, des gosses qui jouent dans la rue, des vins du “terroir”, et des touristes qui rêvent devant les escaliers de la Butte aux réverbères du Ballon rouge. On imagine sans peine Chantoiseau l’original, premier restaurant de Paris, à quelques années de la Révolution. C’est en hommage à celui-ci que les frères Durand ont ouvert leur nid. Avec une cuisine très particulière.

Nostalgie 2022

La mode de la gastronomie française est à la nostalgie. Vive les pâtés, tourtes, sauces classiques, oreillers de la Belle Aurore, lièvres à la royale, tête de veau et autres plats canailles qui n’ont jamais été autant plébiscités. Par des clients en culottes courtes qui ne les ont connus que dans des livres et des films, cuisinés par des cuisiniers qui les ont appris à l’école sans jamais les avoir mangés. Est-ce le désir de retrouver un âge d’or, quand la gastronomie française était sans aucun doute la plus grande du monde ?

Chantoiseau
Consommé de faisan, châtaignes, raisin

Depuis une petite dizaine d’années, les restaurants qui se revendiquent clairement français servent invariablement un lièvre à la royale en saison. C’est le plat de cuisinier par excellence que les cuisiniers aiment et veulent cuisiner – qu’ils semblent imaginer que les clients attendent pendant toute l’année, piaffant d’impatience. C’est très curieux car si tous les cuisiniers que je connais, sans exception, me disent que leurs clients réclament leur lièvre, je ne connais personnellement aucun gourmet(te) qui dit l’aimer à la folie.

Phénomène curieux du décalage entre le cuisinier et le client que l’on retrouve dans certains plats mais nulle part aussi clairement que dans ce lièvre. Celui-ci est le défi ultime du cuisinier français. Alors qu’il se plaint d’habitude des heures longues du métier, quand arrive la saison du lièvre, il se plonge allègrement dans ces préparations interminables. Pas loin d’une semaine de mise en place pour dépecer, trier, nettoyer et utiliser toutes les parties de la bête, y compris poumons et autres abats innommables, en marinades, farces, cuissons et réductions de plusieurs litres de vins et de sang.

Antonin Carême ou Sénateur Couteaux.

Cet article est à l’envers, commençant par le plat que voici, finissant par les entrées tout en bas. J’espère que vous vous y retrouverez.

Vous le savez déjà. Il y a deux plats de lièvre à la royale. Le premier, et le plus connu aujourd’hui, est le lièvre à la périgourdine, d’Escoffier, dit également façon Antonin Carême. Le tronc de l’animal est farci de viandes, foie gras et truffes noires, ficelé en galantine et cuit entier. Il est servi tranché en rondelles et nappé d’une sauce épaisse liée au sang dont le parfait miroir est un gage de qualité. L’autre (et à mon humble avis, le meilleur) est celui que Joël Robuchon, sans conteste l’un des plus grands chefs de la deuxième moitié du XXe siècle, avait remis au goût du jour.

Chantoiseau
Lièvre à la royale, avant la sauce.

Le lièvre du Sénateur Couteaux est un civet compoté et effiloché dans une sauce au vin lié au sang. Il est difficile à dresser avec son visuel de bouillie qui se mange à la cuillère. Frédéric Anton, élève de Robuchon, l’a très joliment dressé. Pascal Barbot l’a rafraichi d’un peu d’agrumes et servi dans un bol, l’appelant simplement civet.

Chantoiseau
Lièvre à la royale, avec la sauce.

Un lièvre éminemment moderne

Les frères Chantoiseau ont fait le pari de servir le Sénateur Couteaux, mais en le twistant de plusieurs manières. Plutôt que cette sorte de concentration presque chocolat noir de la sauce que l’amertume caractéristique du sang rend parfois difficile à apprécier, notamment pour les touristes américains et asiatiques, leur sauce est en quelque sorte “chocolat au lait”. L’image, bien sûr, pas le goût ! Bien que restant dans la même palette de couleurs brunes, elle est suave, sans aucune amertume ni goût métallique, douce et presque tendre. Peut-être trop aimable pour le vrai amateur du gibier pur et dur, puant la chasse et le sang. Mais un régal pour le client contemporain qui n’a plus l’estomac pour les lourdeurs d’antan.

Chantoiseau
Régalade absolue parfumée de bon beurre.

La viande est rigoureusement compotée et effilochée, mais cachée dans un feuilletage tel une bouchée à la reine chaude (j’ai appris chez Chantoiseau que ce n’est pas un vol-au-vent car celui-ci se partage, alors que la bouchée est individuelle). En finition, une belle couche de champignons crus râpés à la mandoline, comme de la mélano version prolo (et beaucoup moins lourde). Perché sur le côté de ce monticule, un petit cube de foie gras incongru. Autour, un bout de céleri-rave, un filet d’anguille fumée, et plein d’autres choses que le cerveau (le mien) n’enregistre plus. Car il y en a dans cette assiette…que l’on “sauce” avec le feuilletage qui s’imbibe de tous les jus… Magnifique gourmandise !

Cet empilement de choses est à la fois classique, rappelant les plats tridimensionnels d’autrefois, et moderne. Du classique revu dans un autre classique avec un autre avec un autre, comme une poupée matriochka, discrètement décalé et somme toute parfaitement original. Il faut être jeune et un brin inconscient pour s’attaquer à autant de piliers historiques de la cuisine en même temps…

Cervelle et râble

Difficile de dire ce que j’ai aimé le plus dans ce repas. Peut-être la cervelle. D’abord l’on s’écrie « ô joie ! de la cervelle ! »  en la découvrant sur la carte car cet abat se fait rare. Puis l’on s’arrête devant l’impossibilité totale de l’imaginer au jalapeno et aji dulce (kézako ? un piment plutôt doux). Une entrée généreuse, entière, grosse, canaille, sans aucun relent d’abat, avec une sauce verte résolument rafraichissante, aux parfums piquants de jalapeno, aji dulce, une bonne poignée de feuilles de coriandre et un soupçon de poivrons. Molle et fondante, c’est une cervelle infiniment délicate, qui se mange sans faim, à la cuillère avec la gourmandise habituellement réservée à une crème dessert ou un riz au lait.

Chantoiseau
Délicieuse cervelle aux deux piments.

Pour moi, cette cervelle était ex aequo avec le râble de lièvre, un plat à première vue très simple. Quelques pommes gaufrettes croustillantes, une petite purée sur le côté, un bouquet de trévise bien rouge. Betterave et grenade apportant couleur, fraîcheur, une pointe d’acidité et un sucre fruité qui arrondit et enrichit ce gibier très maigre à la place du gras. À la goutte de sang comme indiqué sur la carte, la profonde sapidité de cette viande cuite à la perfection, à la fraction de seconde qui compte, m’a profondément marquée.

Chantoiseau
Râble de lièvre, le rouge et le blanc.

Tourteau, algues et consommé gourmand

En entrée, le tourteau dans une sorte de folie d’algues de Jean-Marie Pédron, avec ce que j’ai cru était du daikon mais s’est avéré être de la poire ; un consommé crémeux de faisan, châtaignes et raisins.

Chantoiseau
Le tourteau.

Tous deux terriblement délicieux, l’un totalement marin, l’autre totalement forêt et toujours dans la fraîcheur du fruit.

Chantoiseau
Consommé de faisan, châtaignes, raisins.

Comme une mélodie de fond qui traverse tout le repas, une trame fine mais présente, il y avait dans tous les plats de ce jour un fruit, jamais le même, parfois deux, qui apportait sa touche de modernité sur des attitudes classiques. Comme dans la toute première huître, coiffée d’un gros morceau juteux de kiwi jaune.

Chantoiseau
Les huîtres.

Les desserts sont frais et agréables après cette orgie malgré tout très riche. Pas de menu à part un menu déjeuner en semaine à 25€ E/P/D, extrêmement raisonnable et copieux : ce jour en plat, une poitrine de porc qui occupait plus de la moitié de l’assiette. Si la cuisson du râble est un indicateur, ce gros morceau de cochon était certainement exquis. Les retraités de la table à côté, sans doute du quartier, étaient tout sourires en le mangeant, heureux de la vie. Que demander de plus à un restaurant ?

CHANTOISEAU
63 rue Lepic
75018 Paris
https://www.chantoiseau-paris.fr/