Lors de la saison du Lièvre à la Royale, les amateurs se retrouvent autour de ce plat classique de la cuisine française cynégétique, aux variantes multiples, qu’il s’agisse de la recette classique d’Antonin Carême ou de sa variante en effilochée, du Sénateur Couteaux. Dans tous les cas accompagné d’une riche sauce au sang et au vin rouge, volontiers augmentée de cacao. À l’instant du choix du vin, ce plat merveilleux ne manque pas d’ouvrir des débats passionnés… et réserver parfois quelques jolies surprises.
L’harmonie la plus classique associe aux saveurs puissantes et complexes de cette recette, la charpente d’un vieux et grand saint-émilion ou d’un pomerol. Tout aussi classique et réussi est l’accord avec un grand pinot noir des côtes de Nuits comme un chambertin ou un vosne-romanée de noble stature, une syrah grandiose tel un hermitage ou un grenache concentré (Fonsalette, Rayas).
Resterait-t-il alors une place pour un vin blanc aux côtés de ce puissant lièvre flanqué d’une sauce aussi riche et complexe ?
Ce fut une découverte, au début de ce siècle, de trouver sur une grande table tourangelle, chez Jean Bardet, au Château Belmont, une recette merveilleuse qui signait un accord parfait avec un vénérable sauternes.
La recette était proche de celle du Sénateur Couteaux, délicatement dressée en un dôme recouvert d’une pellicule de céleri. Deux vins étaient proposés avec ce plat à la texture fondante et aux saveurs à la puissance maîtrisée : un Griottes-Chambertin 1955 de Thomas Bassot, et le Château Gilette 1990. L’accord était tonitruant, l’ensemble délicieux et propre à ouvrir des horizons nouveaux avec ce plat traditionnellement associé à de grands vins rouges ou parfois aussi à des vins mutés comme de grands portos. L’effet de surprise était total et aucun des convives réunis autour de ce lièvre d’anthologie ne put résister à s’essayer à l’exercice de la comparaison.
Le chambertin s’associait parfaitement avec le lièvre dans un accord classique ; la puissance colossale de ce vin donnait à l’ensemble une stature hors pair, parfaite gourmandise qui semblait devoir d’emblée écraser l’option sauternes.
Mais le sauternes s’imposa avec autorité, même après ce chambertin d’une impressionnante stature. Une sucrosité et une onctuosité offraient au lièvre l’accord merveilleux avec une acidularité et un fruit qui soulignaient avec élégance le brin de sauvagerie qu’exprimait encore l’animal.
Étonnement total et enchantement sous le regard ravi de Sophie Bardet qui, la première, avait osé cet accord met-vin. L’expérience sera renouvelée et la voie ouverte à quelques expériences alternatives…
Ainsi, le vin blanc peut dans certaines formes atypiques, faire une belle harmonique gourmande avec le Lièvre à la Royale. On s’essaiera par la suite à d’autres expériences comme le mariage entre une tourte au lièvre à la royale avec un vénérable Château Chalon 1942 ou avec un vouvray jadis moelleux du Clos de Nouÿs 1952.
Mais s’il en est un qui aura marqué les papilles par la surprise et méritera d’être reconduit au moins une fois chaque année, ce fut bien cet accord a priori improbable d’un grand sauternes avec ce plat emblématique de la saison.
Ordonnance à renouveler…