De mémoire de ventre, j’ai toujours eu l’assiette curieuse et la bouche en voyage. Le plus extraordinaire de tous me conduira au Japon. De mes vingt ans de l’époque, j’ignorais encore tout de cette gourmande idylle, de ses goûts et de ses fumets, et dont mon premier contact se ferait entre terre et mer, comme cette île du bout de mon monde : le sushi.
Ika, la seiche. Mon tout premier. La chair luisante recouvre le riz, le protège d’un trait dans toute la longueur. Texture et mâche, nacre d’un blanc laiteux, délicatement quadrillée par la lame délicate du couteau. La chair colle, s’accroche à mon palais. Elle est consistante, goûteuse. Le poisson et le riz, ainsi blottis tout contre, posés, épousés. La dégustation est d’une étrange tendresse, logée entre le gras et le moelleux ferme. Chacun sculpte un ensemble, une harmonie que je ne crois n’avoir jamais effleurée auparavant. En moi, quelque chose se soigne. Le morceau de mer se cramponne aux grains, les recouvre alors qu’ils crissent puis disparaissent dans ma gorge. Je fais office de cocon et je garde tout, le plus longtemps possible.
Émotion merveilleuse que d’éprouver une nostalgie née de la découverte d’un aliment autrefois inconnu. On se sent fort, un peu roi, comblé d’une faim nouvelle, en explorateur de trésors. C’est toute une vie entre les lèvres et à chaque bouchée, l’ego gonfle sous les saveurs, le trouble emporte : on connaît, désormais, on aime ou non mais l’ignorance semble envolée. On sait, on possède un peu car on avale. Le sushi m’a tatouée de cette découverte : face à un plat que l’on aime, on n’est plus jamais seul.