Au petit matin dans la boulangerie…. un millefeuille.
Elsa est une infatigable travailleuse. Elle lamine la pâte, la laisse reposer, puis la lamine à nouveau. Elle est discrète, ne se fait pas remarquer et continue le travail du feuilletage : ces bandes de pâte qui s’étirent et défilent devant ses yeux toujours concentrés sur l’ouvrage.
Car ces étapes de tourage et de laminage sont primordiales : la tenue du dressage en dépend, le fondant et la friabilité en bouche aussi.
Une fois la pâte étalée, Sophie la saupoudre de sucre, puis applique dessus une plaque lourde afin de l’emprisonner lorsqu’elle rentre dans le four. La cuisson du feuilletage est pointilleuse. Sophie avait appris pendant son apprentissage que son temps est relatif, mais après avoir vogué entre différents laboratoires, elle sait que son secret réside dans la vigilance. Elle surveille donc la coloration et la caramélisation comme le lait sur le feu.
Ce lait sur le feu, parlons-en !
C’est Laurence ou Sébastien qui nous l’apportent. En mains propres, dans un bidon. Ce lait cru est le fruit d’un travail acharné pendant lequel Sébastien s’occupe de ses vaches avec bienveillance. Il valorise son produit par la commercialisation dans son distributeur automatique, installé devant sa ferme du Petit Chalait sur la route de Ravure.
Le lait est porté à ébullition afin de donner une crème pâtissière onctueuse. Le feuilletage cuit en même temps, augmentant ainsi le sentiment d’équilibre incertain. Le boulanger, nerveux, tourne en rond. Et le commercial qui se pointe juste au moment où il ne faut pas ! Le lait doit déborder… et le feuilletage, carbonisé ! Une fumée âpre sort du four…
Lana s’occupe du lait. Apprentie en vente, elle veut apprendre aussi la pâtisserie. Mais elle a chaud, le bras douloureux après 30 secondes, à remuer la crème avec ce fouet trop grand. Il lui faut tenir bon encore 1 minute…Elle est toute rouge mais retient sa respiration pour concentrer ses dernières forces. Sophie la félicite pour sa crème parfaite mais elle préfère arrêter la pâtisserie. D’autres aventures l’attendent.
Le feuilletage n’était pas brûlé. C’était juste le boulanger qui n’avait pas encore balayé son four… la farine en sortait telle une grosse fumée. Sophie allège la pâtissière avec une chantilly abondamment vanillée. Elle coupe le feuilletage : les angles sont parfaitement nets et droits malgré l’étroitesse des petits rectangles. La crème diplomate sort de la poche à douille, limpide et régulière. Sophie dresse les millefeuilles et les dispose dans la vitrine réfrigéré où ils attendront les clients chanceux.
Fin de matinée.
Miracle ! Il reste un dernier millefeuille. Je saisis un couvercle de seau en guise d’assiette, une cuillère dans l’autre main et coupe une première tranche de feuilletage. La crème coule partout. Qu’importe. Je rassemble tout dans la cuillère que je porte à ma bouche.
C’est alors qu’il se passe un « truc » comme dit Marina Rollman… Le goût de la torréfaction mélangé à la douceur de la vanille ; le gras de la crème chantilly qui sublime et allège la pâtissière ; tout ce que m’a transmis Michel Galloyer pendant mon apprentissage dans ses boulangeries.
Cela faisait dix ans que je n’en avais pas mangé de si bons !
Quel bonheur !