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L’Oreiller de la Belle Aurore de Maison Verot

À l’automne, la saison de la chasse revient et la carte des restaurants se transforme pour faire honneur au gibier. À poil ou à plume, on en trouve à toutes les sauces, du lièvre à la royale au chevreuil grand veneur. Si les tourtes et les pithiviers ont toujours eu leur place dans les belles maisons, l’Oreiller de la Belle Aurore constitue un mets de fête. Il n’existe pas de recette exacte, mais la Maison Verot nous en livre l’histoire et les détails lors d’une masterclass aux petits oignons. 

Gaël Radigon, chef exécutif de la Maison Verot et l'Oreiller de la Belle Aurore avant cuisson
Gaël Radigon, chef exécutif de la Maison Verot et l’Oreiller de la Belle Aurore avant cuisson.

Le patrimoine gastronomique français

Nul n’ignore les dizaines de spécialités de mets qui font la fierté de notre pays. Et pourtant l’Oreiller de la Belle Aurore n’est pas la plus connue.

Spécialité charcutière qui date du XIXe  siècle, il aurait été créé par le cuisinier de Jean Anthelme Brillat-Savarin (magistrat, gastronome et auteur de La Physiologie du goût) en l’honneur de la mère de ce dernier. Lucien Tendret, le neveu de Brillat-Savarin, le décrit comme un pâté en croûte de grande taille avec une dizaine de viandes de chasse différentes et de la farce.

En fonction de la disponibilité de la chasse, il peut y avoir des compositions différentes. Nicolas Verot nous le confirme, en précisant que ce ne sont pas toujours les mêmes dans les Oreillers au fil des mois. En moyenne pour 25 personnes, c’est le pâté en croûte par excellence. « Pâté-croûte » pour les Lyonnais, il est revenu sur le devant de la scène gastronomique.

Préparation de l'oreille de la belle aurore
Les viandes, en attente du montage de l’Oreiller.

La charcuterie est à la mode : les gens assument de manger de l’andouillette. À l’heure où la pâtisserie « foodporn » inonde les réseaux sociaux, on voit fleurir des terrines et pâtés en croûte aussi beaux que bons. 

La Maison Verot qui a vu le jour en 1930 y est pour beaucoup, Gilles et Nicolas Verot, le père et le fils, fabriquent main dans la main une charcuterie de grande qualité, entièrement faite maison et avec des collections saisonnières. Ainsi, vous (re) découvrirez les produits authentiques et goûterez des créations plus exotiques qui changent selon les saisons avec la disponibilités des viandes et des légumes. 

Une après-midi au laboratoire de la Maison Verot

Au détour d’une petite rue à Vitry-sur-Seine, en région parisienne, se situe le laboratoire du Willy Wonka de la charcuterie. Après s’être équipées de blouses, de charlotte et de sur-chaussure, l’équipe SOP est accueillie par Nicolas Verot et le chef exécutif de la maison, Gaël Radigon, Meilleur Ouvrier de France charcutier.

L’Oreiller de la Belle Aurore n’est réalisé et vendu que quatre fois par an. Les derniers week-ends de septembre, octobre, novembre et janvier. « Pas en décembre, il y a déjà toutes les créations de Noël » nous confie le MOF.

Gaël Radigon étale la première moitié de farce de cochon du Perche
Gaël Radigon étale la première moitié de farce de cochon du Perche.

Chaque week-end ils produisent entre 25 et 40 oreillers pour 50 personnes. Il faut compter environ ½ h pour réaliser le montage d’un Oreiller, mais c’est ce qu’il y a de plus rapide car la préparation des viandes en amont et la cuisson sont longues. C’est ce qui en fait un mets de taille réservé aux grandes occasions !

« La seule limite qu’on a, c’est la taille du four, sinon on pourrait s’amuser à faire des Oreillers pour autant de personnes qu’on le souhaite. »

Gaël Radigon

Dix à douze kilos de viande

Sur un grand rectangle de pâte brisée, Gaël procède au montage de l’Oreiller. Au menu de celui-ci, une farce de gibier composée de chevreuil et sanglier, agrémentée de pistaches et, une autre farce de cochon du Perche. La maison Verot ne travaille qu’avec des viandes françaises et fermières.

Sur la farce, les viandes sont alignées progressivement
Sur la farce, les viandes sont alignées progressivement.

Une première moitié de farce de cochon est étalée. Elle est rose, marbrée de blanc, et assaisonnée d’un « gratin » : un mélange de foies de volaille, champignons et échalotes. 

Afin d’obtenir un beau rendu lors de la découpe, il faut répartir astucieusement les viandes blanches et rouges. Sur une planche en bois, les dix viandes, chacune préalablement assaisonnée et coupée en morceaux d’environ 4 cm sur 10 cm attendent leur sort. J’étais impressionnée par l’énorme quantité de viande, mais au fur et à mesure du montage, cela a fait sens.

Il régnait un silence presque religieux dans le laboratoire. J’étais hypnotisée par les gestes du chef. Tous les regards étaient rivés sur les mains de l’artisan. 

La farce de gibier est étalée sur les viandes, puis les morilles.
La farce de gibier est étalée sur les viandes, puis les morilles.

Un alignement parfait des viandes

Sur la farce, Gaël Radigon dispose les morceaux de viande les uns à côté des autres sans laisser d’espace. Échine de cochon du Perche, ris de veau – préalablement salés, pochés et poivrés – faisan, pigeon, pintade, canard d’élevage, perdreau, foie gras de canard, canard sauvage et poulet.

Les viandes sont parfaitement alignées. Le chef structure les couches de viande en pressant délicatement sur les côtés pour conserver un parallélépipède parfait. Les lignes de couleurs permettent de différencier d’un coup d’œil le gibier, le foie gras et le poulet. 

Les couleurs des différents gibiers – une palette allant du rose foncé jusqu’au bordeaux en passant par le pourpre -, m’ont frappée car c’était la première fois que je voyais autant de variétés côte à côte. Le foie gras est plutôt beige et le poulet jaune. 

Dernière couche de farce de cochon avant la fermeture de l'Oreiller.
Dernière couche de farce de cochon avant la fermeture de l’Oreiller.

Une couche de farce de gibier est étalée uniformément. Puis les morilles cuisinées avec de la crème. Gaël Radigon répète l’opération en miroir: il positionne les viandes dans le sens inverse, pour que lorsqu’on achète une demi-tranche, on puisse déguster toutes les variétés. Le chef recouvre les viandes avec la deuxième partie de la farce de cochon.

La fermeture de l’Oreiller

Une des étapes les plus importantes dans la confection d’un pâté en croûte reste le scellage de la pâte. Après quatre coups de couteau dans les angles, le chef rabat les bords de la pâte pour s’assurer que toute la farce – farces et viandes-, est bien maintenue. Puis il recouvre le tout d’une deuxième abaisse de pâte dont il glisse les bords en-dessous pour bien sceller le pâté. 

L’étape de la dorure est indispensable pour que la pâte ait une belle couleur après la cuisson. Chez Maison Verot, la dorure c’est 100% jaune d’œuf, et on ne lésine pas sur la quantité. 

Fermeture de l'Oreiller par Gaël Radigon.
Fermeture de l’Oreiller par Gaël Radigon.

Ensuite, le chef applique le pochoir qu’ils ont imaginé pour représenter la Belle Aurore. Pour lui donner une couleur brune, ils utilisent de la chapelure torréfiée : 

« Ce qui est bien avec la chapelure c’est qu’on peut avoir la couleur que l’on souhaite, on la torréfie plus ou moins selon notre besoin. »

Gaël Radigon

Vous remarquerez qu’il n’y a pas de cheminée dans ce pâté en croûte ! La vapeur reste à l’intérieur pendant la cuisson et le jus s’installe progressivement sur les côtés pour devenir la gelée. L’Oreiller va subir une cuisson de 3h30 suivie d’une nuit de refroidissement. 

Impression du profil d'Aurore sur l'Oreiller avec un pochoir et de la chapelure.
Impression du profil d’Aurore sur l’Oreiller avec un pochoir et de la chapelure.

Une dégustation fabuleuse

« Lorsque l’on coupe l’Oreiller de la Belle Aurore, le parfum des truffes noires mêlé au fumet des viandes embaume la salle à manger ; les tranches tombant sous le couteau présentent l’aspect d’une mosaïque de couleurs vives et variées et sont imprégnées des sucs d’une gelée vineuse couleur d’or… »

Lucien Tendret, neveu de Brillat Savarin

L’Oreiller se déguste froid. On croque d’abord dans la pâte, croustillante à l’extérieur et presque mi-cuite à l’intérieur, bien beurrée et soudée avec la viande. C’est si bon, moelleux et très goûteux. Le contraste est multiple, d’abord visuel car le damier est net, c’est beau, mais pas facile de repérer le perdreau du faisan.

L'Oreiller de la Belle Aurore avant et après cuisson.
L’Oreiller de la Belle Aurore avant et après cuisson.

Le contraste se fait aussi dans les goûts et les textures avec la mâche des différentes viandes. Le foie gras est très crémeux et les ris de veau sont légèrement résistants. Certaines viandes ont un goût plus prononcé que d’autres, la chasse entre autres. Il y a une pointe d’Armagnac qui parfume délicatement.

La farce de cochon apporte le gras à l’ensemble des viandes plus maigres. Un équilibre se crée et la gelée apporte de la fraîcheur. C’est une expérience de pouvoir déguster un pâté en croûte avec autant de diversité !

En novembre, vous pouvez acheter une part d’Oreiller les vendredi 25 et samedi 26. 

Ce sont des parts de 250 g, au prix de 25 €. 

Sinon, vous pouvez aussi retrouver la recette dans leur livre Terrines, etc (Gilles et Nicolas Verot, Le Chêne, 2020) aux pages 220-221.

Découpe de l'Oreiller de la Belle Aurore.
Découpe de l’Oreiller de la Belle Aurore.