Myoujyaku
Daikon à cœur rouge

Myoujyaku. Deuxième partie.

Tokyo. Récompensé de deux étoiles au Michelin quelques mois seulement après une ouverture discrète, le chef Hidetoshi Nakamura sert une cuisine limpide, personnelle et profondément respectueuse de la tradition culinaire japonaise. Résurgence de la grande cuisine des années 1970 version 2023.

(Suite de la première partie)

Beauté, élégance et sobriété. Ce serait étonnant que Myoujyaku ne soit pas consacré par une troisième étoile d’ici peu. Dans le plus pur style kappô (haute cuisine japonaise servie au comptoir), la cuisine du chef Hidetoshi Nakamura est comme un fil tendu: le goût concentré en son essence, fidèle à l’esprit de la grande gastronomie de l’archipel. Aucun surplus, aucun manque. Une immense précision sans sacrifier la part de rêve, cette évocation de la nature propre à l’imaginaire japonais.

Kani manjû

Dérivé du mantou et du baozi chinois (pain ou brioche vapeur), le manjû japonais est une douceur généralement faite de farine (blé, riz, kuzu) et de pâte d’azuki sucré, appréciée dans tout l’archipel depuis près d’un millénaire.

Ce « manjû » de crabe zuwaï, de la famille des crabes des neiges, immense araignée du Pacifique nord, se cache derrière sa carapace, accompagné d’une très fine julienne de pomme fruit et de gingembre frais, parfumée au jus de sudachi.

Myoujyaku
Manjû de crabe

La boulette est composée d’une enveloppe de pattes décortiquées et alignées, qui renferme une farce faite de sotoko et d’uchiko avant d’être frite. Sotoko désigne les œufs fécondés, de couleur brune, avec une texture de mini-billes. On les trouve sous la carapace de l’abdomen.

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La boulette.

L’uchiko est ce que l’on appelle souvent « corail » en français, une substance crémeuse de couleur verte qui tourne au rouge vif une fois cuite. Ce sont les œufs en formation, les ovaires du crabe en quelque sorte.

Le chef recommande de suivre les lignes dessinées par les pattes pour couper la boulette avec les baguettes.

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La farce, composée de chair, d’œufs fécondés et non fécondés.

En surface, la boulette est légèrement croustillante, et s’aplatit un peu sous la pression du doigt. On la devine juteuse. En bouche, elle est très chaude et lâche un jus éclatant de l’umami riche et concentré du crustacé, accentué par la chaleur. Vous reconnaitriez le goût du corail d’un homard simplement fendu en deux et rôti, si ce n’est qu’ici, il est non seulement crémeux mais également fibreux et juteux, grâce à la chair décortiquée, mêlant sa sucrosité à l’umami des œufs extérieurs et intérieurs. Ce délicieux umami commun à tous les crustacés, qui gratouille plus ou moins fortement le palais.

C’est extrêmement bon. On se rafraichit la bouche avec la julienne pomme-gingembre, très vive, légèrement acidulée par le jus de sudachi. Et on recommence, trois fois !

Les trois anneaux

Le chef apporte un très beau plat de daikon pourpre avec un daïdaï (agrume japonais) en son centre. Il ouvre ce dernier, qui révèle un piment rouge. Les trois anneaux font référence au contour du daikon, à celui du daïdaï, et enfin à celui du piment dont le chapeau est coupé. Une sorte de cosmogonie japonaise qui se mange…

Visuellement, c’est absolument enchanteur. Le kôshin daïkon, « daikon à cœur pourpre », originaire de Chine, est un légume prisé pour sa couleur et sa douceur. Entier, sa forme est ronde, comme un gros navet, et sa peau, verte. Détaillé en tranches fines, il est présenté dans sa marinade : saké réduit, mirin réduit, jus de daïdaï réduit, vinaigre de riz, sauce soja usu-kuchi (claire).

Après avoir pressé le daïdaï sur le plat, le chef prend chaque tranche de daikon avec ses baguettes, la frotte légèrement sur le daïdaï et le piment. Ce geste à première vue maniéré prend tout son sens en bouche, car ce piment juste effleuré apporte une vivacité à la douceur du légume mariné sans toutefois ajouter du feu qui tuerait les saveurs infiniment délicates du légume. Terriblement exquis…

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Daikon à cœur rouge mariné au jus de daïdaï réduit.

Mérou à longues dents et monaka de lys

Gros poisson pêché dans les eaux de l’Ouest du Japon ainsi que dans la mer de Chine, le mérou à longues dents est un produit noble par son gras plus présent que dans la plupart des autres poissons à chair blanche et fine, qui lui confère un umami riche et rond. Un proverbe dit « quand on a mangé le mérou à longues dents, on ne peut plus manger les autres poissons ».

Il est simplement grillé, avec une peau très croustillante. À côté, un monaka de bulbe de lys, farci de miso et figue séchée. Le monaka est un gâteau fait d’une enveloppe de pâte de riz très fine, coulée dans un moule, cuite sur le feu, légère comme une gaufrette, et fourrée de pâte d’azuki sucrée. Mais il ne s’agit pas du gâteau traditionnel ici…seulement une ressemblance, de blanc doré et de noir.

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Mérou à longues dents et monaka de bulbe de lys.

Le bulbe de lys est doux et tendre, d’une douceur qui rappelle celle de la pomme de terre ou de la châtaigne, mais avec une texture beaucoup plus lustrée et fine, presque opaline, et une saveur qui évoque le sucré sans l’être tout à fait.

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Le bulbe de lys est formé comme un monaka, fourré de miso et figue séchée, puis doré à la flamme.

Un plat qui exprime tout l’umami salé du poisson, contrebalancé par la douceur du lys. Trois bouchées qui peuvent paraître austères à l’œil mais qui sont en réalité très, très gourmandes.

Soba au sel de daurade

Ce plat fut-il inspiré des spaghettis ? Les nouilles soba sont faites maison. Ce qui ressemble à du parmesan râpé est du « sel de daurade ». De la daurade réduite dans son dashi jusqu’à obtenir une poudre fine.

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Soba au sel de daurade

Niawasé de wagyu et séri

Le séri, aussi appelé persil plat japonais (à ne pas confondre avec le mitsuba), est un légume cultivé en Asie et en Italie. Il ressemble un peu au mitsuba avec un parfum toutefois très différent, à la fois plus doux et plus amer. Il est cuit dans un dashi de katsuobushi (bonite séchée).

Le wagyu est cuit dans une sauce réduite sucrée-salée, de sauce soja, saké et mirin, avec une bonne dose de sansho pour le parfum.

Les deux éléments sont ensuite mariés « à l’étouffée » en l’absence d’un mot plus approprié. Il s’agit d’une cuisson courte dans une petite quantité de dashi de pétoncles. Ce dernier est légèrement épaissi au kuzu.

Le wagyu est à la fois riche et rafraichi, car débarrassé de sa graisse par la première cuisson. Ce plat devient ainsi extrêmement fondant, avec une épaisseur réconfortante. Sa texture est plus proche de celle d’un congee que d’une viande mijotée.

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Niawase de wagyu

Le riz et ses condiments

Il est souvent difficile de parler de riz nature, blanc, simplement cuit à la japonaise, à un Occidental dont la culture est centrée sur le pain. On entend souvent dire que le riz n’a pas de goût, qu’il est fade ou au mieux, neutre…

Un bon riz se distingue tout d’abord à l’œil. Nacré, luisant, brillant, la forme du grain est uniforme, ni svelte comme celle du riz basmati, ni bedonnante comme chez certains riz italiens. Les grains ne sont ni collés ensemble, ni totalement séparés. Sous la dent, chaque grain est ferme mais cuit à cœur (le riz japonais ne se mange pas al dente) tout en s’écrasant sans grand effort entre le palais et la langue. Ce degré de fermeté qui tient sur le fil du rasoir est le fruit d’une cuisson parfaite. En cela, la difficulté de la cuisson du riz est identique à celle des nouilles.

Le nacré très légèrement translucide est l’expression de la fine sucrosité d’un bon riz japonais. Et pour le riz, le Japon est le meilleur du monde, à tel point que les Chinois fortunés achètent le riz nippon à prix d’or. Le même riz koshihikari ou sasanishiki produit en Californie, en Espagne ou en Italie, n’a pas cette sucrosité, qu’il perd dès qu’il refroidit. Aussi curieux que cela puisse paraître, le riz japonais du Japon ne la perd pas. Sol, climat, terroir? Voici le critère déterminant du riz.

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Riz blanc parfait

Pour accompagner le riz, plein de petits « condiments ».

Le poisson de glace est appelé ainsi car il nage dans les eaux glacées des rivières où il vient de naître. C’est le bébé de l’ayu, l’un des rares poissons d’eau douce prisés au Japon.

Les œufs de saumon sont frais, crus, nettoyés et séparés sur place en cuisine. Une rareté en France, malheureusement. Ils sont courtement marinés dans du saké avec une larme de sauce soja.

La poutargue fraiche est tout simplement des œufs de mulet frais et crus, avec quelques petites boulettes de daikon rapé. Enfin, le « caviar de la terre » est du tonburi, des graines de Bassia scoparia dont la texture ressemblant à celle du caviar, ainsi que son apparence, lui valent ce surnom. Il est mélangé au corail du crabe Ibara, de la famille des King Crab. Cela éclate et pétille en bouche, naturellement salé, sucré et assaisonné par l’umami du crabe.

Il y avait aussi une soupe de miso rouge que j’ai oublié de prendre en photo. Toute simple, extrêmement bonne, avec une pointe d’acidité et d’amertume.

Donburi

L’appellation « donburi » n’est pas justifiée car ce bol est plutôt une assiette creuse, et n’est pas bien grand (le donburi désigne les grands bols dans lesquels on sert du udon ou des ramen). Un peu de riz au fond, de l’œuf « brouillé » avec du dashi. Dessus, sous la ciboulette fine japonaise, l’on trouve quelques morceaux gélatineux de tortue, un peu comme certaines parties de la tête de veau dans la cuisine française. La tortue d’élevage est un produit noble au Japon. Ce « donburi » à l’apparence d’une petite gourmandise de deux grandes cuillerées, est néanmoins riche et copieux en cette fin de repas.

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Donburi d’œuf et tortue.

Les desserts

La délicieuse fadeur des desserts est un point d’orgue pour signaler la fin de la soirée et purifier l’esprit pour l’apprêter à d’autres saveurs… demain, après la digestion. Pour ce soir nous sommes plus que repus.

D’abord la clémentine. Quelques petits morceaux, mariés avec des cubes de sorbet. Dessus, un peu de sansho moulu. C’est frais, délicieux et typiquement japonais. Car la glace est presque une obligation à la fin d’un repas gastronomique. Ainsi que le fruit, que l’on appelle mizumono ou « mets de l’eau », qui vient toujours laver le palais et ainsi clore un repas kaiseki ou kappô.

Entre deux feuilles de camélia du Japon, fleur noble symbole de l’hiver, on trouve du tofu de sésame. Ce dernier n’a rien à voir avec le tofu de soja. D’ordinaire salé, fait de sésame, dashi et kuzu, on l’apprécie tout autant pour sa texture très légèrement rebondissante, lisse sur la langue, puis fondante sous la pression du palais, que son goût de sésame crémeux. Ici, il est très délicatement sucré, comme un lointain souvenir de sucre dans un nuage de sésame. Fade, certes. Mais délicieux et très reposant.

Menu unique du soir à 35000 yen.

Myoujyaku 明寂
Nishiazabu 3-2-34-B1F
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