Sardine

Renouveau – Sushi Jin

Après le départ très discret de Takuya Watanabe, Sushi Jin a un nouveau chef au parcours original. Focus sur le menu du chef Taichi Sato, le premier sushi-kaiseki de Paris.

L’un est de Hokkaïdo. L’autre de Fukuoka. Le premier est né dans une grande île tout au nord du Japon, où les hivers sont blancs, la terre plate et la mer peu clémente. Un pays d’umami marin, d’iode et de dashi de bonite. Le second quant à lui vient du Kyushu, une grande île tout au sud du Japon, escarpée et montagneuse, connue pour ses sources d’eaux chaudes, l’abondance de sa terre et la richesse de sa mer. Il y fait bon vivre, boire et manger. Le tonkotsu-ramen et le yuzu-kosho sont parmi les spécialités les plus connues de la région.

Deux chefs, deux terroirs, deux goûts… On aurait difficilement trouvé plus contraire. Taichi Sato, le nouveau chef de Jin, parle français, anglais et bien sûr japonais. Il est souriant et avenant, parfaitement rasé, sans aucun tatouage ni piercing, très net de sa personne – un cuisinier typiquement et traditionnellement japonais.

Taichi Sato

De Kyoto à Saint-Julien

Son credo est la nature et les produits sourcés au plus près de la terre et de la mer. Formé d’abord dans la cuisine italienne, il s’est vite tourné vers la cuisine tsumikusa, littéralement « ramasser les herbes », au restaurant Miyamaso des montagnes farouches de Kyoto. Celui-ci pratique depuis 120 ans une cuisine de plantes sauvages au sein d’un environnement résolument naturel, dans le respect de l’écosystème bien avant l’invention du mot.

Taichi Sato est arrivé en France il y a cinq ans, directement dans le Médoc sans passer par Paris, en tant que chef à Château Lagrange, 3ème grand cru classé de Saint-Julien.

« Pourquoi le Médoc? » lui demandai-je car le bond des montagnes de Kyoto au fin fond du Médoc me semblait gigantesque.

« Parce que la nature est la même, répondit-il avec un sourire, à Miyamaso j’aimais déblayer la neige le matin, et devoir encore la re-déblayer le soir. J’aime faire face à la nature, et à Château Lagrange c’était un peu comme ça. »

Je n’avais pas souvenir que le Médoc soit si enneigé… mais l’impression est certainement pastorale. Cuisines italienne, kaiseki japonaise, puis française à Château Lagrange où apparemment tout était permis… voilà donc un profil original pour un chef sushi.

Taichi Sato

Premier sushi kaiseki de Paris

J’appréhendais l’expérience car je suis particulièrement vieux jeu quand il s’agit de sushi, un monde plus réputé pour sa rigidité sévère que pour sa liberté de pensée. Alors un sushi-ya qui n’est pas vraiment un sushi-ya, puisqu’il n’a pas fait ses dix ans de formation de sushi mais seulement de cuisine japonaise, et qui de surcroit a été chef dans un château bordelais… donne un avant-goût bizarrement fusion qui ne présage rien de bon.

J’ai d’abord été surprise par la sucrosité globale de tous les mets. Le sushi Edo-Maé, qui est celui auquel on pense quand on dit « sushi », composé de boulettes de riz vinaigré avec du poisson cru, est salé, acide et très très légèrement sucré.

La douceur que l’on retrouve dans tous les plats du chef Sato est typique d’un sushi-ya du sud du Japon. Ce qui l’est moins – et la raison pour laquelle j’appelle ce menu « sushi kaiseki » – est que tout est plus « cuisiné ». Beaucoup de poissons sont en kobujime: le produit est enveloppé dans une feuille d’algue kombu pour lui enlever son excédent d’eau et lui donner de l’umami (le kombu est très riche en glutamate). Presque tous les sushis ont un assaisonnement supplémentaire: non seulement de nikiri, cette sauce faite de sauce soja et de saké flambé que l’on applique sur le sushi au pinceau, mais de vinaigre réduit, de jus d’agrume, de gingembre frais, de ciboulette ou encore par la flamme.

D’habitude, j’aurais dit « arrêtez de triturer le sushi » car cela va à l’encontre de l’épure que l’on attend de cette cuisine tout en blanc, rouge et bleu. Mais ici, elle est faite avec un tel doigté que l’on doit se rendre à l’évidence. Ça marche, et ce, étonnamment bien. Si à Tokyo aujourd’hui, la mode des sushiya de luxe va dans ce sens, servant plus de plats cuisinés, moins de nigiri, plus de légumes pour compenser les difficultés d’approvisionnement des poissons traditionnels, c’est la première fois à Paris qu’elle se présente ainsi dans un parfait équilibre entre le cuisiné – cuit et assaisonné – et le cru nature.

Bouillon de bienvenue

Le repas commence par une tasse. Un bouillon légèrement nuageux, presque velouté, très doux et rond. Du miso blanc, du dashi de bonite, un soupçon de moutarde japonaise karashi. Au fond, deux petites boules blanches de mochi. Du vrai mochi, terriblement confort et délicieux…

Bouillon de bienvenue mochi

Kobujime de hirame (turbot enveloppement d’algue kombu), kôshin-daïkon (daikon à cœur pourpre), wasabi. Le wasabi est très bon et il vient de France ! Plante très difficile à cultiver, nécessitant une source d’eau pure, le vrai wasabi est onéreux même au Japon. Jusqu’à très récemment, malgré quelques tentatives dans l’Héxagone, il venait essentiellement d’Angleterre. Je ne savais pas que des producteurs avaient réussi (enfin!) à en faire en France.

Kobujime de turbot

L’enveloppement d’algue est mesuré : le poisson n’est que légèrement dépourvu de son eau et a pris un soupçon de l’umami du kombu. Le daikon pourpre donne un très léger piquant et une fine sucrosité. Une larme de vinaigre réduit vient compléter ce résultat exquis.

Shinjo de langoustine

Shinjo de langoustine. Le shinjo est une boulette, souvent servie dans une soupe claire. Ici, il y a un tout petit fond de liquide, juste assez pour donner de la jutosité.

Shinjo de langoustine

Agédashi de cerfeuil tubéreux, ankaké de homard, daikon rapé et ciboulette, piment d’espelette. L’agédashi (se prononce « agué-dashi ») est souvent fait d’aubergine ou de tofu, frit nature dans une nage de dashi. L’ankaké est une sorte de sauce épaissie généralement au kuzu dont on enrobe le produit — ici le homard.

Homard

Le rouget, saisi au binchotan, le charbon japonais, finement laqué avec une « sauce » douce et légèrement salée. Au deuxième plan, épinards et shiitaké, pour rafraichir le palais.

Rouget

Nigiri de daurade.

Daurade

Magnifique nigiri de seiche. Le chef dit choisir des toutes petites seiches, fraiches du matin. Leur petite taille (et probablement leur jeunesse) les rendent tout à fait délicieuses même sans le repos d’habitude nécessaire pour les attendrir. La surface est croquante comme il se doit car ce qui est bon dans la seiche, c’est cette résistance d’une fraction de millimètre — presque comme un film —, quand la dent s’enfonce. Suivie immédiatement de la densité tendre et fondante de la chair que l’on ne trouve dans nul autre produit.

Seiche

Il me semble que c’était du béryx…

Kinmedai

Tentacules de seiche.

Tentacules de seiche

Sardine marinée et saisie à la flamme.

Sardine

Homard en kobujimé.

Homard

Soupe de miso rouge.

Soupe miso rouge

Bordeaux et thon rouges

Thon rouge — maguro. En zuké, c’est-à-dire trempé dans de la sauce soja et saké flambé.

Thon rouge

Autre originalité de ce chef. Il aime marier les sushi de thon avec des vins de Bordeaux rouges. Ce Château Canon 2005 était totalement inattendu et absolument merveilleux avec le thon rouge. La finale, autant du sushi que du vin, est longue et a un furieux goût de reviens-y.

Château Canon

Thon gras — toro.

Thon gras

Peut-être moins évident mais tout aussi formidable. L’accord du Château Rauzan-Ségla 2005 avec le thon gras était surprenant. On se pose plein de questions, comme si on découvrait un nouveau monde.

Château Rauzan-Ségla

Thon mi-gras — chu-toro.

Thon mi-gras

Maki de kampyo et truffe.

Kampyo et truffe

Je n’aurais jamais imaginé que ce soit bon. La truffe noire est assez souvent servie dans les sushiya de luxe en France mais je n’ai jamais trouvé qu’elle se comportait bien avec le riz de sushi vinaigré. Jusqu’à ce jour. Incroyable.

Kampyo et truffe

Le kampyo est de la calebasse séchée puis mijotée dans un mélange sucré-salé. Toujours en maki, c’est le seul produit du sushi que l’on aime mordre, car on apprécie sa texture fibreuse, dense et juteuse. C’est pourquoi le maki de kampyo est le seul à être coupé en trois et non en quatre—pour permettre ou obliger le mangeur à croquer le maki. Ici, il est coupé en quatre, comme un maki de thon ou de n’importe quel autre produit. On le mange ainsi entier… Original, me suis-je dit, haussant un sourcil sceptique, jusqu’à ce que le croquant juteux du kampyo et celui, sec, de la truffe, se soient mêlés dans ma bouche. Aha. Chapeau bas !

Temaki de thon

Temaki de thon.

Desserts

Les desserts sont réalisés par le pâtissier du chef Takuya Watanabe (je n’ai pas compris si c’était permanent ou temporaire). Panna cotta à la confiture de framboise, comme un vacherin. Tofu-guimauve au kinako et Chocolat. Tout était parfaitement équilibré pour clore un repas de sushi, ni trop sucré, ni trop riche, ni trop insipide. Génial.

Menu Jin

Là où ça continue à faire mal, ce sont les prix. Le menu Prestige à 550€ est franchement excessif de nos jours, et il semble essentiellement composé de caviar à la pelle. Il y avait aussi un nigiri de wagyu (on reparlera du wagyu, qui n’est pas mon produit préféré). Notre menu ce jour était un omakasé, grosso modo le menu dégustation du déjeuner avec 4 nigiri supplémentaires. C’est light si on retire 4 nigiri entiers…et quand même 180€.

Certes, il n’y a que 8 couverts et il faut bien que le restaurant survive. Mais il serait peut-être temps de trouver un autre modèle économique… Affaire à suivre ?

Sushi Jin
6 rue de la Sourdière
75001 Paris
Jin.Paris