Un diner au restaurant Kei

Début 2020, deux informations ont secoué le Japon comme autant de séismes. La première était le Covid, avec ces images de Wuhan en quarantaine. La deuxième, plus joyeuse, était la consécration suprême d’un chef japonais en France. Kei Kobayashi, premier chef asiatique et japonais à être récompensé de la troisième étoile en France. Toute la presse de l’archipel n’a parlé de rien d’autre pendant des semaines… Car si aujourd’hui les villes du monde ont un Michelin, le monde sait aussi que le seul qui compte vraiment, c’est le français.

J’y étais allée déjeuner deux jours après l’annonce du Michelin. Le chef et le staff étaient tous deux épuisés par l’attention médiatique qui avait commencé dès six heures le lendemain de l’annonce, quand ils trouvèrent une nuée de journalistes japonais qui campaient devant la porte du restaurant. Cela expliquait sans doute une sorte de retenue, presque d’effroi, que j’ai ressentie dans les assiettes ce jour-là. Elles étaient sur la réserve, prudentes, ne prenant aucun risque, repliées sur les plats signature connus et reconnus.

Tourteau, anguille fumée en émulsion et en gelée, algues marinées, riz soufflé et coulis d’ortie.

Depuis, les temps ont changé. Le chef, anti-social à sa façon, a toujours refusé de se conformer au politiquement correct. Aucune concession pour la mode des tables en bois brut. Le bio, la biodynamie, les petits producteurs authentiques et les produits sains ne l’intéressent que s’ils sont bons au goût.

Le rustique, le mat et le chiné sont de mises? Kei choisit de refaire son restaurant à grands frais, revêtu de cristal scintillant de mille feux et de mobilier argenté. Quant au staff, Kei est le seul restaurant à ma connaissance à ne pas avoir changé de personnel malgré le Covid. Un seul départ… c’est un miracle de nos jours.

Quand j’y suis retournée cet automne après une longue absence car le restaurant affichait toujours complet, je ne savais pas à quoi m’attendre. Ayant co-signé le livre Kei III, je ne suis évidemment pas objective. J’aime ce chef, j’aime sa cuisine. Je suis profondément biaisée.

Bar de ligne, écailles soufflées, radis Red Meat, tapenade d’aubergine, citron caviar, pousses de shiso pourpre, sauce aigrelette.

Mais Kei a changé. En toute objectivité. Depuis la troisième étoile, il a connu une progression fulgurante. Avec la récompense suprême sont venues la confiance et l’assurance dont il avait besoin pour transcender et s’approprier réellement tout ce qu’il avait appris. Oh, bien sûr, cela ne date pas du 29 janvier 2020. Il avait déjà bien digéré et fait sienne les leçons de ses mentors. Mais il lui manquait la confiance, celle qui donne l’élan, celle qui, malgré la remise en question de tout créateur, offre un peu de répit face aux doutes et permet d’ouvrir grand les ailes.

Jardin de légumes.

Ses grands classiques comme le Jardin de légumes étaient identiques, mais très différents. On sentait qu’ils étaient passés à la vitesse supérieure, dans une sorte de brillante perfection. Je ne doute pas que les recettes soient sensiblement les mêmes. Mais les produits sont meilleurs. Les techniques sont plus rodées. Les cuisiniers sont plus fiers d’être là, derrière lui, et font des miracles. Le service, sous l’œil bienveillant de Louis-Marie Robert, est enfin harmonieux et détendu tout en restant très “pro”.

Le restaurant Kei est un lieu agréable, à la fois chic et cosy, où il fait bon diner.

Bœuf wagyu de Gunma à la plancha, condiment de raifort, cresson et moutarde, et son bout de gras absolument délicieux.

En comptant tout y compris chaque amuse-bouche et accompagnement, le menu comportait 17 plats. Tous, à commencer par la tartelette d’anchois et la gougère, sont d’une exécution sans faille. Les textures sont parfaites, ni plus, ni moins. Les saveurs sont à la fois distinctes et unies. Il y a de la surprise, du confort et beaucoup de bonheur.

Trois plats cependant à retenir absolument. Le premier, le gunkan-maki de thon, inspiré du sushi roulé verticalement (vous le trouverez dans le livre Kei III page 126), qui n’a plus rien à voir avec le classique japonais. Celui-ci est plus croustillant, plus gourmand, presque érotique dans une composition à faire gémir. La feuille d’algue nori n’est plus enroulée – et donc humide, mais apposée sur le côté de cette drôle d’architecture. Elle reste ainsi sèche et croustillante jusqu’au moment où elle atteint la bouche. Une grande bouchée – un sushi ne se croque pas ! D’une gourmandise telle que nous étions essoufflées.

Gunkanmaki de thon. Galette de riz soufflé, ventrèche de thon travaillée à l’écume de tomate, caviar.

Le deuxième est l’Oreiller de la Belle Aurore. À l’origine un hommage à Gérard Besson, célèbre pour son gibier, dont Kei a racheté le restaurant et qui avait fait de cette charcuterie lyonnaise un plat chaud devenu aussitôt un de ses plats signatures, il a évolué au fil du temps pour devenir une signature propre à Kei. Comprenant une bonne quinzaine de gibiers, foie gras, ris de veau, trompettes ou truffes selon disponibilité, découpée au guéridon et accompagnée d’une sauce au champagne, cette tourte représente tout ce à quoi Kei aspirait en arrivant en France il y a 22 ans : la grande gastronomie française.

Oreiller de la Belle Aurore, pour deux.

Difficile de revenir en arrière une fois que l’on a connu l’Oreiller de Kei. Une confection complexe et longue, dont la première dégustation se déroule avec la pâte. Pâte composée de plusieurs pâtes, une superposition d’une sorte de pâte à pâté et d’une sorte de pâte feuilletée, ni l’une ni l’autre n’étant exactement cela.

On commet souvent l’erreur de penser que les tourtes se définissent par ce qu’elles contiennent. Mais j’ai toujours pensé que l’essentiel, le moment où l’on se pâme de bonheur, commence dès le premier instant où la dent rencontre l’extérieur de la croûte. Celle-ci doit être craquante pour la fraction de millimètre où elle est dorée. Puis immédiatement fondante puis immédiatement moelleuse; parfaitement savoureuse avec du bon beurre à profusion et du sel à point, ayant imbibé sur l’autre face le jus et les saveurs de la farce. Celle-ci peut varier, et sera plus ou moins parfumée, plus ou moins giboyeuse, plus ou moins riche de foie gras et de ris de veau, avec toujours une bonne mâche de champignons de couleur noire. Le jeu des textures, du croustillant de la pâte jusqu’à la mâche ferme du pigeon ramier ou du colvert, fait de ce plat un chef d’œuvre d’une saisonnalité exceptionnellement viandarde.

Oreiller avec la sauce.

Quant à la sauce… Génie que de marier à cette tourte une sauce très légèrement mousseuse, comme rebondissante avec ses très fines bulles. Sauce douce, tendre, moelleuse, qui appelle un accord avec un vin non pas rouge mais plutôt blanc, bien choisi. Ou du champagne, bien sûr !

Cet Oreiller que j’avais pourtant mangé des dizaines de fois ne m’avait jamais paru aussi bon.

Le dernier point fort de la soirée fut le dessert. Depuis quelques mois, Kei ne sert plus qu’un dessert. Cela me va très bien car j’aime les mignardises ici, et le menu est long. Ce soir-là, le dessert fut une tatin. Merveilleuse pomme confite fondante au goût sucré légèrement amer de caramel, sur une base épaisse et friable comme un gros sablé et une arlette fine et légère comme le temps d’une respiration dont on regrette le caractère éphémère… un, deux, trois croustillants, du parfum de beurre et de sucre… et c’est fini. Terriblement délicieux que ce nouveau dessert signé Toshiya Takatsuka, le chef pâtissier que Kei désigne comme le dernier de ses mentors, alors qu’il est plus jeune que le chef lui-même.

Restaurant Kei
5 rue du Coq Héron
75001 Paris
Voir les menus ici https://www.restaurant-kei.fr/
Supplément Oreiller de la Belle Aurore 95€

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