Première partie de ce long menu tout en wagyu, un véritable challenge pour ce chef, le plus français des Italiens. Comment travailler le wagyu ? Honnêtement, est-ce vraiment une bonne viande ? En vaut-il vraiment la peine ?
Le wagyu, tout le monde le sait, est CHER. Il fut un temps, il fallait débourser 240€/kg et ce, en achetant obligatoirement la demi-bête qui rentrait en France via Monaco. C’était il y a déjà presque 20 ans et depuis, son prix a radicalement baissé et on le voit une ou deux fois l’an, sur les grandes tables françaises – mais toujours sur le banc des remplaçants. Comme disent beaucoup de chefs français, c’est un produit qui les intéresse mais qui est extrêmement difficile à travailler et auxquels ils ont rarement envie de se mesurer, sauf lors d’évènements promotionnels comme celui-ci. Et pour les chefs japonais, il reste un produit qui se mange essentiellement à la japonaise, c’est-à-dire simplement grillé avec un peu plus de sel que d’habitude.
Il faut avouer que ce déjeuner autour du wagyu de Joshu, qui eut lieu pendant 4 jours au Taillevent, une table par jour, 4 couverts par table, était très intéressant. Pour plusieurs raisons. D’abord parce que le chef, Giuliano Sperandio, a pris le parti non pas de la facilité – sashimi, sushi et carpaccio, avec wasabi ou yuzu-kosho –, mais de la cuisine française pur jus. Une cuisine, qui, par définition, se plait dans les mijotages et les réductions. Pour un produit à qui une cuisson courte en fines tranches sied le mieux. Le challenge était de taille.
4 races de tout l’archipel.
Le wagyu (wa = “japonais” + gyu = “bœuf”, littéralement “bœuf japonais”) est un produit complexe. Le terme wagyu désigne un bœuf appartenant à l’une des quatre espèces obtenues par croisement entre des races japonaises et importées il y a environ 150 ans. Ces quatre races sont le kurogé (poil noir), akagé (poil roux), tankaku et mukaku, le kurogé étant considéré comme le meilleur.
Le wagyu est élevé dans diverses régions du Japon, dont les plus connues sont les villes de Matsuzaka et Yonézawa, et les provinces de Miyazaki et Gunma. Le bœuf de Kobé est une nomenclature répondant à des normes strictes mais qui ne désigne pas un animal provenant de la ville de Kobé. Je reviendrai plus tard sur les définitions des bœufs japonais, l’affaire étant un sac de nœuds typiquement japonais.
Pour l’heure, nous sommes au Taillevent… Aujourd’hui il s’agit de kurogé–wagyu ou wagyu à poil noir, appelé wagyu de Joshu, selon l’ancien nom de la province de Gunma.
Un gressin avec du faux-filet de wagyu cru. L’apéro parfait, avec le Cantillon qui change des bulles… mais pas très excitant. Il faut avouer que, comme dit le chef, le wagyu cru ne rend pas hystérique de joie. On imagine facilement une fine tranche de Galice maturée ou même une Normande bien élevée, qui donneraient l’une comme l’autre des notes à la fois plus goûteuses, gourmandes et complexes sur ce même gressin.
Collier de wagyu et foie de rouget crus, sur une “sauce” curcuma, poivre mignonette. L’entrée en matière est délicieusement fraiche, avec son double cru très tendre sans toutefois le côté métallique du sang que l’on trouverait sur un bœuf européen. Du poulpe à la fois ferme et fondant qui donne de la texture à la bouchée, et l’épice qui apporte un air de cuisines lointaines, chaudes et dynamiques.
Huître, feuille d’oseille, œuf mimosa, brunoise d’artichauts barigoule. Rarement marié à de l’huître, l’œuf apporte une rondeur sans gras, très plaisante dans ce plat assez acidulé qui réveille les sens. C’est le seul plat à part les desserts sans aucune présence de wagyu.
Les entrées
Royale d’orties, gelée de bœuf, tartare de wagyu, avec algues “au goût d’huître fraiche”. La cuillerée de royale et de gelée est solide mais liquide en bouche, à la fois lisse et crémeuse. Le gras du wagyu fait de la quenelle une crème au goût de viande… sans aucune resonance laitière. Un peu comme si on mangeait du gras extrêmement fin. Le consommé de bœuf (pas de wagyu) en gelée est extrêmement bon. Dommage que ce soit passé de mode. C’est tout de même carrément exquis.
Canelloni de gîte de wagyu gratiné, écrevisses, sauce suprême. Une goutte d’huile d’olive et une autre de jus au vin rouge… qui change tout. Un plat éminemment confort, chaleureux, réconciliant, avec un peu de croustillant très fin qui ne casse pas mais se déchire, une farce de gîte mijotée avec la mâche du nerf devenu presque fondant, entourée d’une sauce suprême crémeuse à souhait tout en restant inlassablement légère. Ce serait presque un riz au lait pas sucré au wagyu (difficile à imaginer, je sais…) à manger impérativement à la cuillère. Les écrevisses apportent un tout petit jeu, comme des billes qu’on roulerait sur la langue avant de les mâcher le plus lentement possible.
Très joli accord avec un vin fin, élégant, classieux.
Saucisse de wagyu, pieds d’agneau pour la texture. Très très bon. On imagine qu’une merguez de wagyu pourrait être délicieuse… et ce jus, toujours, qui fait toute la différence.
On change de continent pour un vin japonais. Bon dans l’absolu mais un peu capiteux et fruité pour s’accorder avec ces plats qui, sans être lourds, n’avaient pas non plus l’acidité presque métallique de la viande rouge. Ah ce wagyu ! Quel produit difficile !
(à suivre…)